Pour la première fois en France, les paiements par carte ont surpassé les règlements en espèces dans les commerces de proximité en 2024. Cette bascule, révélée par une enquête de la Banque centrale européenne et analysée par la Banque de France, marque un tournant majeur dans les habitudes de consommation.
Si le cash reste un moyen de paiement incontournable, son usage diminue régulièrement face à une adoption croissante des paiements électroniques et mobiles. Cette mutation est-elle irréversible, ou les espèces conservent-elles encore un rôle central dans l’économie du quotidien ?
Les paiements par carte désormais dominants
En 2024, 48 % des transactions aux points de vente en France ont été réalisées par carte bancaire, contre 43 % en espèces. Pour la première fois, le cash passe donc au second plan dans les paiements du quotidien. À cela s’ajoutent 4 % de transactions via des paiements mobiles et 5 % via d’autres moyens (chèques, virements, etc.).
Cette évolution s’inscrit dans une tendance de long terme. Entre 2016 et 2024, la part des paiements en espèces a chuté de 25 points en France, illustrant un recours croissant aux moyens de paiement scripturaux. L’essor du sans-contact, l’amélioration des infrastructures de paiement et la généralisation des terminaux de paiement électronique (TPE) chez les commerçants ont largement contribué à ce basculement.
Une tendance plus marquée en France qu’en Europe
Comparée à la moyenne de la zone euro, la France se distingue par une adoption plus rapide des paiements électroniques. Alors que l’usage des espèces a également reculé de 27 points dans l’ensemble des pays de la zone euro sur la même période, elles restent dominantes au niveau européen, représentant 52 % des transactions en 2024. La France se situe ainsi 9 points en dessous de cette moyenne.
Cette spécificité française s’explique en partie par l’innovation des acteurs bancaires et fintechs, qui ont accéléré la démocratisation des paiements numériques. De plus, les habitudes des consommateurs français évoluent rapidement, avec une préférence affirmée pour la carte bancaire : en 2024, 62 % des Français la privilégient pour leurs paiements, contre seulement 14 % pour les espèces.
L’essor du paiement mobile et la diversification des moyens de règlement
Si la carte bancaire domine, le paiement mobile connaît une montée en puissance significative. Entre 2022 et 2024, il a enregistré la plus forte progression parmi tous les moyens de paiement, porté par la généralisation des applications comme Apple Pay, Google Pay et les solutions bancaires intégrées.
En parallèle, les paiements par virement ou prélèvement restent stables, conservant une place marginale dans les transactions de proximité. Toutefois, cette diversification des moyens de paiement contribue à l’érosion progressive du cash, qui n’est plus perçu comme un besoin essentiel pour de nombreux consommateurs.
Un attachement paradoxal aux espèces
Bien que leur usage diminue, les espèces restent un sujet sensible pour une majorité de Français. Si seulement 14 % déclarent les privilégier pour leurs paiements, 60 % considèrent qu’il est important, voire essentiel, de pouvoir payer en liquide. Cette attache au cash repose principalement sur des considérations de liberté et de sécurité : disposer d’une alternative aux paiements numériques reste perçu comme un droit fondamental.
Autre paradoxe : la thésaurisation en espèces progresse. En 2024, 26 % des Français déclarent conserver des billets à domicile comme réserve de précaution, une hausse de 11 points par rapport à 2016. Ce phénomène avait atteint un pic en 2022, avec 30 % des ménages concernés, traduisant une méfiance accrue vis-à-vis du système bancaire en période de crise. Aujourd’hui, près d’un quart des Français conservant des espèces chez eux disposent d’une somme supérieure à 500 euros.
Toutefois, la France reste en retrait par rapport à ses voisins européens sur ce point. Au sein de la zone euro, 35 % des ménages pratiquent la thésaurisation en liquide, une proportion nettement plus élevée qu’en France ou en Belgique.
Une accessibilité encore optimale, mais une acceptation en question
Malgré la baisse de son usage, le cash reste facilement accessible en France. Neuf Français sur dix estiment qu’il est « très facile » ou « plutôt facile » de retirer des espèces, une perception plus favorable qu’en moyenne en zone euro. Entre distributeurs automatiques, guichets bancaires et services de retrait chez les commerçants, l’offre demeure étendue.
Par ailleurs, l’acceptation des espèces par les commerçants reste largement majoritaire : 94 % des points de vente les acceptent encore, un taux qui dépasse celui des paiements par carte (93 %). En théorie, il est interdit de refuser un paiement en espèces sauf dans des cas spécifiques (paiements supérieurs à 1 000 € chez un professionnel, paiements en grande quantité de pièces, etc.). Cependant, 6 % des consommateurs indiquent s’être déjà vus refuser un règlement en liquide, un phénomène qui tend à se développer discrètement.
Un recul progressif des arguments en faveur du cash
Si les Français restent attachés aux espèces, les raisons justifiant cet attachement s’érodent progressivement. L’argument de la confidentialité des paiements, historiquement un point fort du liquide, perd de son importance. Entre 2022 et 2024, la part des Français citant l’anonymat comme un avantage du cash a reculé de trois points.
Cette évolution s’explique en partie par l’évolution des comportements numériques. L’essor des services en ligne, des applications mobiles et des réseaux sociaux a familiarisé la population avec l’idée de partager des données personnelles, réduisant ainsi la sensibilité à la confidentialité financière.
Autre point de bascule : l’idée selon laquelle les espèces permettent une meilleure gestion des dépenses. Si cet argument convainc encore 31 % des Français, la montée en puissance des applications bancaires et des outils de gestion budgétaire numériques pourrait progressivement le rendre obsolète.
Les petits commerçants, acteurs clés de la transition
L’évolution des infrastructures de paiement a également contribué à cette transformation. Entre 2022 et 2024, l’acceptation des paiements électroniques dans les commerces de proximité a progressé de 8 points pour atteindre 93 %. Cette évolution est notamment due aux efforts des commerçants pour s’équiper en terminaux de paiement modernes, plus légers et moins coûteux, facilitant l’acceptation des cartes et des paiements mobiles.
De plus en plus d’établissements privilégient ces solutions pour des raisons pratiques : limitation des risques de vol, simplification de la comptabilité et adaptation aux nouvelles habitudes des clients. Cette évolution accélère encore le recul du cash, qui devient progressivement un moyen de paiement d’exception plutôt que la norme.
Vers une disparition des espèces ? Pas encore…
Bien que les paiements électroniques prennent le dessus, une disparition totale des espèces reste peu probable à court terme. Leur usage continue de diminuer, mais le cash conserve une fonction essentielle pour une partie de la population, notamment les personnes âgées, les ménages modestes ou ceux qui privilégient une gestion traditionnelle de leur budget.
Toutefois, la question de la marginalisation des espèces se pose. Si la tendance actuelle se poursuit, le cash pourrait devenir un moyen de paiement secondaire, utilisé dans des contextes spécifiques plutôt que dans la vie quotidienne. La transition vers une société où les paiements numériques dominent semble inéluctable, mais elle devra s’accompagner de garanties pour préserver l’accès aux espèces, afin de répondre aux besoins de tous les consommateurs.
Le basculement amorcé en 2024 marque donc une étape clé dans l’évolution des paiements en France. Reste à savoir si cette transition s’accélérera dans les années à venir, ou si un socle d’irréductibles continuera de faire vivre l’usage du liquide au quotidien.